La grâce présidentielle accordée par le général Mamadi Doumbouya au capitaine Moussa Dadis Camara, ancien chef de la junte guinéenne, suscite un vif débat en Guinée et au-delà. Officiellement justifiée par des raisons de santé, cette mesure est interprétée par certains comme un geste humanitaire, tandis que d’autres y voient un recul inquiétant pour la justice.
Un décret qui change tout
Le décret présidentiel, lu à la télévision nationale dans la soirée du vendredi 28 mars 2025, a annoncé que Moussa Dadis Camara bénéficiait d’une grâce présidentielle. Ce geste intervient moins de trois ans après sa condamnation à 20 ans de prison dans le cadre du procès très médiatisé des événements du 28 septembre 2009. L’ex-dirigeant guinéen faisait partie des huit accusés reconnus coupables de crimes contre l’humanité à l’issue de ce procès historique.
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Retour sur un passé sanglant
Pour rappel, les faits reprochés à Dadis Camara remontent à une répression sanglante ayant eu lieu au stade de Conakry, au cours de laquelle plus de 150 personnes avaient trouvé la mort, selon les organisations de défense des droits humains. L’ancien président de transition était accusé de n’avoir rien fait pour empêcher les exactions commises par ses forces armées, bien qu’il en ait eu le commandement.
Grâce présidentielle: une détention écourtée
Malgré une peine de 20 ans, Dadis Camara n’aura passé que moins de trois ans derrière les barreaux. Cette libération anticipée pose la question de l’équilibre entre justice et clémence présidentielle. Pour ses partisans, affaibli par la maladie, Dadis Camara méritait une issue plus humaine. Pour ses détracteurs, il s’agit d’un affront aux victimes du massacre.
Une mesure humanitaire ou politique ?
Officiellement, la grâce présidentielle repose sur des motifs de santé. Mais des voix s’élèvent pour dénoncer une manœuvre politique. Certains estiment que cette décision pourrait fragiliser la lutte contre l’impunité et entacher la crédibilité de l’engagement de la Guinée en faveur de la justice transitionnelle.
Les ONG montent au créneau
Des organisations comme Human Rights Watch ou Amnesty International ont exprimé leur inquiétude. Elles rappellent que les crimes contre l’humanité ne devraient jamais être amnistiés et que toute décision de grâce devrait s’accompagner de garanties en faveur des victimes et de leur droit à la vérité et à la réparation.
Un débat relancé en Guinée
Sur les réseaux sociaux, la décision fait l’objet de vives réactions. Si certains internautes saluent un geste de réconciliation nationale, d’autres dénoncent une justice à deux vitesses. Pour beaucoup de Guinéens, cette grâce présidentielle pourrait sonner comme une injustice, en particulier pour les familles des victimes qui attendent toujours réparation.
Quelle place pour les victimes ?
La vraie question est celle du rôle accordé aux victimes dans ce processus. Leur ont-elles été consultées ? Ont-elles été informées ? Le processus de justice transitionnelle engagé par la Guinée était pourtant salué comme un modèle en Afrique de l’Ouest. Cette libération risque d’en compromettre la perception.
Un précédent préoccupant ?
Ce cas pourrait créer un dangereux précédent pour d’autres pays africains confrontés à des crimes d’État. La grâce présidentielle, bien qu’inscrite dans les prérogatives du chef de l’État, ne doit pas être utilisée pour échapper à la justice ou brouiller les responsabilités historiques. Elle doit être maniée avec rigueur et dans le respect des principes fondamentaux de droit et d’équité. Sans cela, c’est toute la confiance du peuple dans l’institution judiciaire qui s’effrite.
Accorder une grâce présidentielle à une personnalité condamnée pour des faits aussi graves, comme des crimes contre l’humanité, pourrait être perçu comme un désaveu des efforts de justice entrepris par la Guinée ces dernières années. Il en va de la crédibilité de l’État, de son engagement envers la vérité, la réparation et la non-répétition. Dans une région déjà marquée par des tensions politiques et sociales, cette décision pourrait aussi envoyer un mauvais signal à d’autres dirigeants, risquant d’encourager l’impunité sous couvert de compassion.
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